Louise Weber dite La Goulue (1866-1929)
 

     

Louise Weber est née le 12 juillet 1866 à Clichy-la-Garenne de parents alsaciens, de Dagobert Weber, charpentier, et de Madelaine Courtade (1835-?), blanchisseuse, qui déserta à jamais la maison conjugale alors que Louise n’avait que 3 ans. Louise sera alors élevée, ainsi que son frère et sa soeur Victorine, par sa soeur aînée Marie-Anne Weber qui tenait une blanchisserie. Son père qui animait de temps en temps des noces et des banquets faisait régulièrement monter Louise sur les tables pour des démonstrations de chahut (dans l'esprit du cancan, l'art de lever les jambes, la jupe), ce qui donna rapidement conscience à Louise de son pouvoir de séduction. Elle n’attendra pas d’être célèbre pour faire scandale : dès sa première communion, elle choqua les esprits en arrivant dans l’église avec son tutu de danse, ce qui provoquera la révocation du curé de la paroisse. Louise commencera à danser à 6 ans au bal public lors d'un bal de l'Élysée Montmartre consacré aux enfants d'Alsace-Lorraine, présidé par Victor Hugo et la comtesse Céleste Mogador.
 

L'Élysée Montmartre vers 1900

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Le père de Louise, mutilé lors de la guerre de 1870, décèdera en 1873 des suites de ses blessures. A 11 ans Louise vendra des fleurs dans le quartier de la Goutte d’Or, puis à 13 ans elle travaillera dans la blanchisserie de sa sœur aînée. Elle emménagera deux ans plus tard dans une petite chambre des Batignolles avec son deuxième amant, un artilleur, Edmond Froelicher.

A partir de 1882 Louise séduira un public hétéroclite au Bal Debray, un bal public qui prendra le nom de bal du Moulin de la Galette à partir de 1890, un lieu situé en haut de la butte Montmartre où l’on dansait en plein air les dimanches et jours fériés. Apaches et gueuses y côtoyaient ouvriers et bourgeois venus s’encanailler. On y trouvait aussi des artistes et des journalistes à l’affût des nouvelles tendances. Louise a su attirer leur regard. Elle est la première danseuse à oser retrousser ses jupons jusqu’à la taille. Sachant qu’à cette époque les culottes des femmes étaient entièrement fendues à l’entrejambe, on imagine l’effet produit. Les hommes se bousculaient pour apercevoir l’ombre de sa toison. Et Louise faisait valdinguer leur chapeau avec la pointe du pied, elle avait le diable dans la peau. Elle crachait, vociférait et s’exprimait dans un argot à faire rougir un charretier. On l’adorait ! 
Louise reviendra évidement danser à l’Élysée Montmartre ...
Et c’est dans cet exercice de danseuse de bal public qu'elle rencontrera celui qui deviendra bientôt son partenaire de danse sur scène pendant dix ans, Valentin le Désossé, et qu'elle se fera remarquer par Joseph Oller et Charles Zidler qui l’engageront en 1989 au Moulin Rouge, à son ouverture.


Vers 1900                      


      Le bal du Moulin de la Galette (bal Debray) peint par Auguste Renoir en 1876

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Louise prendra des cours de perfectionnement avec la danseuse chorégraphe Grille-d'Égout qui deviendra une amie et une partenaire de danse, et avec Céleste Mogador dite La Mogador, une galante, courtisane, comédienne, danseuse, actrice, chanteuse, propriétaire et directrice de théâtre, et inventrice du quadrille naturaliste, une danse qui prendra bientôt le nom de French Cancan chez les Anglais enthousiasmés à leur tour par cette dernière évolution style cancan de l'ancienne danse française dite du quadrille.

En 1885 Louise se fera croquer par le dessinateur Auguste Roedel et bientôt fera la connaissance du célèbre peintre Auguste Renoir au Bal Debray. Louise posera nue pour lui avant qu'il ne l'oriente vers ses amis photographes qui profiteront à leur tour de la fougue et de l'audace de la cancaneuse.
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La Goulue avec Grille-d'Égout


 
   

A gauche de La Goulue Valentin le Désossé, à droite Grille-d'Égout
 


La Mome-Fromage, plus qu'une partenaire de danse

 

 



 

   

 

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Louise posera aussi pour des photographies de nu artistique ...
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A cette même époque, Charles Desteuque, secrétaire des Folies Bergères et chroniqueur mondain dans le journal Gil Blas, la lance dans le tout-Paris, la faisant notamment danser professionnellement du côté de Port-Royal au bal Bullier appelé aussi la Closerie des Lilas, ainsi qu'à L'Alcazar d'hiver au 10 rue du Faubourg-Poissonnière. Louise deviendra la maîtresse d’un certain Gaston Goulu-Chilapane, un jeune diplomate domicilié avenue Foch… et puisqu'elle séchait les fonds de verre dans les cabarets, son nom de scène fut tout trouvé : La Goulue !


L'entrée du Bal Bullier rénovée en 1897


Ça chahutait tous les soirs au Bal Bullier


L'Alcazar d'hiver
 

La Goulue participera à la revue "1888" du cirque Fernando.
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Le cirque Fernando, devenu le cirque Medrano en 1897 et démoli en 1971

La première affiche de Henry de Toulouse Lautrec qui a fait connaître son nom au grand public avait été commandée au peintre en 1891 par Zidler, le directeur du Moulin-Rouge qui avait ouvert deux ans auparavant ce nouveau lieu de spectacles. Sur cette affiche on y découvre La Goulue et son partenaire Jules Renaudin dit Valentin le Désossé, clair de notaire le jour et danseur, contorsionniste la nuit.
C'est à l’Élysée Montmartre que Louise avait rencontré Toulouse Lautrec, "ce drôle de petit homme barbu avec un chapeau melon en train de dessiner". Elle l'avait apostrophé en lui disant : "Ben t’es trop mignon toi, mon p’tit nain barbu !". Commença entre eux une étrange idylle mais ils resteront avant tout amis pour la vie. Ci-dessous quelques œuvres de Lautrec en rapport au Moulin Rouge du temps de la Goulue.
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"La danse au Moulin Rouge"
Huile sur toile - 115 × 150 cm

 

 


                          "Moulin Rouge - La Goulue"
      Lithographie en quatre couleurs - 191 x 117 cm - 1891

 


 

 

"Au Moulin Rouge"   
Huile sur toile - 123 × 140 cm - de 1892 à 1895

"La Goulue arrivant au Moulin Rouge"
Huile sur toile -
79,4 × 59 cm  - 1892
La Goulue donne le bras droit à sa
sœur Victorine et le bras gauche à
Nini Pattes-en-l’air, toutes deux
danseuses au Moulin Rouge.
"La Goulue"  -  1892
Mine sur papier - 16,3 x 10 cm
"Valse pour piano"
Lithographie - 245 x 308 cm - 1894


Quand Charles Zidler ouvre le Moulin-Rouge en 1889, il engage la Goulue et ses consoeurs chahuteuses pour en faire son attraction principale, et le succès est au rendez-vous. Louise n'a alors que 23 ans. Un large public se presse au Moulin-Rouge pour voir la Goulue et sa bande lever la jambe. La jeune Weber devient la coqueluche du tout-Paris : elle est engagée à huit cents francs par mois et vit alors fort luxueusement. Louise n’était ni une prostituée ni une demi-mondaine mais de toute évidence elle collectionnait les hommes de toutes classes sociales, ce qui ne l’empêchait pas aussi à l’occasion d’afficher une bisexualité notoire notamment avec la Môme Fromage. Parmi ses amants célèbres citons le prince de Galles, futur roi d'Angleterre Édouard VII, à qui La Goulue aurait demandé de lui payer un verre en lui disant : "Hé, Galles ! Tu paies l’champagne ! C’est toi qui régales ou c’est ta mère qu’invite ?".  Finalement, le prince l'aurait emmené au restaurant puis dans son hôtel particulier. On prête aussi à La Goulue d'avoir fréquenté de près le prince égyptien Chérif Amourad Yazi, le Shah de Perse, le baron de Rothschild, le marquis de Biron ... Quoi qu'il en soit, Louise refusait d'être entretenue. Son goût de la provocation et sa volonté de ne jamais se soumettre aux règles de la bienséance qui dominait la société bourgeoise de l'époque la poussait sans cesse à des comportements jugés immoraux qui lui ont d’ailleurs valu bon nombre de procès pour malversation morale et des rappels à l’ordre et amendes par la police des mœurs qui contrôlait les salles de spectacles : danser les cheveux découverts alors que toutes les autres danseuses les dissimulaient sous un chapeau, rentrer au Moulin Rouge avec un bouc en laisse, puisque les femmes se devaient d’être accompagnées d’un mâle dans les lieux publics ... Louise savait jouer avec la presse, attirer la lumière vers elle et intentait aussi des procès pour que les journaux continuent à parler d'elle. En 1893, les étudiants des "Quat'z'arts" organisèrent au Moulin-Rouge leur bal annuel. Ils imposèrent des femmes nues, leur servant de modèles. L'alcool aidant, une orgie s'en suivit. Le lendemain les journaux titrèrent : "Le Moulin-Rouge, devenu lieu de débauches". La Goulue se sentant offensée se porta partie civile contre les "Quat'z'arts" et la onzième Chambre Correctionnelle les condamna à une forte amende. Les étudiants s'insurgèrent et mirent à sac le quartier latin, retournant des omnibus et brûlant quelques magasins. "La Goulue, cette flamboyante catin, à mis le feu à Paris ! " s'exclama Lautrec.
 


Le Moulin Rouge vers la fin du 19ème siècle

 

La troupe du Moulin Rouge posant dans la salle de bal

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La Goulue et Grille-d'Égout                
 en loge au Moulin Rouge                   


Les chahuteuses en action dans la salle de bal du Moulin Rouge


 


 







La Goulue avec Valentin le Désossé             
 

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Aux origines du French Cancan,
une danse subversive et féministe
(Vidéo : 4 mn 30)


 



Quand Joseph Ollier inaugura l'Olympia le 11 avril 1893, il fit venir comme toutes premières vedettes, La Goulue, Loïe Fuller (danseuse américaine) et Fregoli (transformiste).

 

 

 

 



Forte de son succès, désireuse de s'émanciper de l'autorité des dirigeants du Moulin Rouge et s'accrochant de plus en plus souvent avec certaines danseuses du Moulin Rouge, Louise Weber envisagea de poursuivre sa carrière en solo. Elle venait justement de faire une nouvelle rencontre, un journaliste et artiste forain du nom de Simon Colle qui l'aidera à réaliser la conversion qu'elle espérait et ils vivront une bonne année ensemble. En 1995, elle quitte donc le Moulin Rouge, enceinte de son premier et unique enfant que son nouvel amant reconnaîtra à la naissance, et montera un nouveau spectacle de cancan et de danse orientale qu'elle présentera dans une baraque foraine à la foire aux pains d'épice, place de la Nation. Pour attirer plus de monde elle eu l'idée de demander à son ami Toulouse Lautrec de lui peindre deux panneaux pour orner de part et d'autre l'entrée de sa baraque. Son spectacle ne lui donnera malheureusement pas le succès attendu et elle mettra fin à cette première aventure foraine un an plus tard. Cependant le cœur de Louise s'éveilla car, si la plus ancienne soupe populaire, proposée alors par certains commerçants de Paris date de 1894, Louise ne fut pas en reste et offrit aussi une aide alimentaire aux nécessiteux qui passaient devant sa baraque. Jusqu'à sa mort Louise jouera de sa générosité pour venir en aide aux pauvres ainsi qu'aux animaux en errance. Elle dira même un jour : "Moi j'ai toujours été généreuse, mais je n'en veux à personne si on n'en fait pas autant pour moi".

 

Louise avec, probablement, son
fils Simon-Victor dans les bras
 

La baraque de La Goulue avec ses deux
panneaux peints par Toulouse Lautrec


 


La foire aux pains d'épice, Place de la Nation, appelée Place du Trône avant 1880
 


                                 "Le Bal au Moulin Rouge"
                        Huile sur toile - 298 × 316 cm  - 1895


"Danse mauresque"                                      
Huile sur toile - 285 × 307 cm  - 1895                       

 


La Goulue en danseuse orientale
 



 
 


La Goulue avec Toulouse Lautrec                           

 


Pour autant, Louise ne quitta pas le milieu de la fête foraine. Déjà en 1892 elle avait fait la connaissance de Adrien Pezon, un dresseur de fauves issu d'une grande famille de dompteurs d'animaux sauvages. Adrien avait occasionnellement fait danser le cancan à Louise au milieu de ses lions en cage. Il lui avait aussi inculqué les bases du dressage de fauves. En 1898 il l’engagea pour danser au milieu des félins en public, et lors d'une représentation on put trouver venu y assister son excellence l'empereur de Chine. Cette expérience la décida à présenter elle même les fauves. C’est ainsi qu’on put la voir à la "Ménagerie Juliano", chez "Laurent" où elle eut un accident avec la lionne Bellone. En 1900 elle épouse un ancien prestidigitateur et vendeur de bimbeloteries sur les boulevards, Joseph-Nicolas Roxler, qui en cadeau de mariage lui offrit quatre lions et un tigre. Louise initia alors son mari au dressage des animaux sauvages et ensemble, avec leur nouvelle ménagerie, ils firent sensation dans le monde des belluaires (dresseurs de fauves) en se produisant dans quelques cirques et fêtes foraines de Paris et des alentours. En 1904, elle eut les honneurs des gazettes car lors d’une représentation elle sauva son mari des griffes d’un puma. En 1907 à la foire de Saint-Cloud elle sera blessée par son lion Négus.
 


                  José Droxler et La Goulue

 

Le stand de La Goulue à la fête de Neuilly
 


La Goulue et ses fauves

 



      La Goulue avec à gauche son fils Simon-Victor Colle et son mari José  -  1905
 


Depuis quelques années le couple ne s'entendait plus et les spectacles de fauves attiraient de moins en moins de monde et de surcroît le métier était devenu bien trop dangereux. Le couple finit par se séparer et La Goulue connu bien des difficultés à conserver son image de star. Passé 40 ans elle n'était plus la jeune fille du Moulin Rouge, une silhouette d'autant moins attirante qu'elle sombra rapidement dans une consommation exagérée d'alcool. Bientôt elle passera son temps à rembourser les dettes de son fils, jusqu'à ses derniers sous, et elle perdra définitivement son ex-mari qui ne reviendra pas vivant de la première guerre mondiale. Pour comble de malheur, son fils mourra en 1922 de maladie, après avoir purgé une peine de 3 ans dans un pénitencier militaire pour désertion et violences durant le conflit armé.
 

La Goulue avec son fils Simon-Victor


        La Goulue avec son fils Simon-Victor qui arbore la cocarde du conscrit
        qui fait de lui un homme bon pour le service, bon pour aller à la guerre


On retrouvera bientôt la veille dame arpentant les quartiers de Montmartre et de Pigalle, dans les bistrots où tout le monde la connaît, le corps alourdi, les traits bouffis par l'alcool, la voix perpétuellement enrouée de trop boire et de trop fumer. Cependant, devant sa destinée, elle ne connaîtra ni aigreur, ni jalousie et conservera son sourire. Elle est devenue "Madame Louise" et vend cacahuètes, bonbons, allumettes, lacets et cigarettes aux prostituées et aux passants, en s'arrêtant de temps en temps devant le Moulin Rouge pour entamer la conversation avec les nouvelles danseuses comme Mistinguett qui l'aidera financièrement à terminer sa vie. Au hasard de ses virées dans les bars et cafés, elle signe ses photos à ceux qui la reconnaissent. Jean Gabin et Maurice Chevalier la feront remonter plusieurs fois sur scène pour la présenter au nouveau public du Moulin Rouge. Louise habitera l'hiver dans un petit appartement non loin de l'Élisée Montmartre et elle prendra ses quartiers d'été du côté de Saint-Ouen dans sa roulotte, recueillant et soignant les animaux  ...
 


Dans sa roulotte l'été,  du côté de Saint-Ouen

 

Souffrant de rétention d'eau, Louise fera une attaque d'apoplexie et décédera après dix jours à l'hôpital Lariboisière, dans l'indifférence totale, le 29 janvier 1929, à l'âge de 63 ans. Elle sera enterrée au cimetière parisien de Pantin presque sans témoin mais en présence de Pierre Lazareff, attaché à la direction artistique du Moulin Rouge. A la demande de Michel Souvais, son probable arrière petit fils, elle sera exhumée en 1992 et ses cendres seront transférées au cimetière de Montmartre où elle repose désormais.


Références : Les archives numérisées de la ville de Paris
                   Le livre "La Goulue, Reine du Moulin Rouge" paru en 2020, écrit par la journaliste littéraire Maryline Martin - Éditions Le Rocher poche
                   De nombreux sites sur internet
 

 

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RM - 2021