Louise
Weber est née le 12 juillet 1866 à Clichy-la-Garenne de parents alsaciens, de Dagobert Weber,
charpentier, et de Madelaine Courtade (1835-?), blanchisseuse, qui déserta à jamais la maison conjugale alors que Louise n’avait que 3 ans. Louise sera
alors élevée, ainsi que son frère et sa soeur Victorine, par sa soeur aînée
Marie-Anne Weber qui tenait une blanchisserie. Son père qui animait de temps en
temps des noces
et des banquets faisait régulièrement monter Louise sur les tables pour des
démonstrations de chahut (dans l'esprit du cancan, l'art de lever les jambes, la
jupe), ce qui donna rapidement conscience à Louise de son pouvoir de séduction.
Elle n’attendra pas d’être célèbre pour faire scandale : dès sa première
communion, elle choqua les esprits en arrivant dans l’église avec son tutu de
danse, ce qui provoquera la révocation du curé de la paroisse. Louise commencera à danser à 6 ans au bal public lors d'un bal de l'Élysée
Montmartre consacré aux enfants d'Alsace-Lorraine, présidé par Victor Hugo et la
comtesse Céleste Mogador.
L'Élysée Montmartre vers 1900
.
Le père de Louise, mutilé lors de la guerre de 1870, décèdera en 1873 des suites
de ses blessures. A 11 ans
Louise vendra des fleurs dans le quartier de la Goutte d’Or, puis à 13 ans elle
travaillera dans la blanchisserie de sa sœur aînée. Elle emménagera deux ans
plus tard dans une petite chambre des Batignolles avec son deuxième amant, un
artilleur, Edmond Froelicher.
A partir
de 1882 Louise séduira un public hétéroclite au Bal Debray, un bal public qui prendra le nom de bal du Moulin de la Galette
à partir de 1890, un lieu situé en haut de la butte Montmartre
où l’on dansait en plein air les dimanches et jours fériés. Apaches et gueuses y côtoyaient ouvriers et bourgeois venus
s’encanailler. On y trouvait aussi des artistes et des journalistes à l’affût
des nouvelles tendances. Louise a su attirer leur regard. Elle est la première
danseuse à oser retrousser ses jupons jusqu’à la taille. Sachant qu’à cette
époque les culottes des femmes étaient entièrement fendues à l’entrejambe, on
imagine l’effet produit. Les hommes se bousculaient pour apercevoir l’ombre de
sa toison. Et Louise faisait valdinguer leur chapeau avec la pointe du pied, elle avait le diable dans la peau. Elle crachait, vociférait et s’exprimait dans
un argot à faire rougir un charretier. On l’adorait !
Louise reviendra
évidement danser à l’Élysée Montmartre ...
Et c’est dans cet exercice de danseuse de bal public qu'elle rencontrera celui qui
deviendra bientôt son partenaire de danse sur scène pendant dix ans,
Valentin le Désossé, et qu'elle se fera remarquer par Joseph Oller et
Charles Zidler qui l’engageront en 1989 au Moulin Rouge, à son
ouverture.
Vers 1900
Le bal du Moulin de
la Galette (bal Debray) peint par Auguste Renoir en 1876
.
Louise prendra des cours de perfectionnement avec la danseuse chorégraphe Grille-d'Égout qui deviendra une amie et une partenaire de danse, et avec Céleste
Mogador dite La Mogador, une galante, courtisane, comédienne, danseuse, actrice,
chanteuse, propriétaire et directrice de théâtre, et inventrice du quadrille
naturaliste, une danse qui prendra bientôt le nom de French Cancan chez les
Anglais enthousiasmés à leur tour par cette dernière évolution style cancan de
l'ancienne danse française dite du quadrille.
En 1885
Louise se fera croquer par le dessinateur Auguste Roedel et bientôt fera la
connaissance du célèbre peintre Auguste Renoir au Bal Debray. Louise
posera nue pour lui avant qu'il ne l'oriente vers ses amis photographes qui
profiteront à leur tour de la fougue et de l'audace de la cancaneuse.
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La Goulue avec Grille-d'Égout
A gauche de La Goulue Valentin le Désossé, à droite Grille-d'Égout
La Mome-Fromage, plus qu'une partenaire de danse
.
Louise posera aussi pour des photographies de nu artistique ...
.
A cette
même époque, Charles Desteuque, secrétaire des Folies Bergères et chroniqueur
mondain dans le journal Gil Blas, la lance dans le tout-Paris, la faisant
notamment danser professionnellement du côté de Port-Royal au bal Bullier appelé aussi la Closerie
des Lilas, ainsi qu'à L'Alcazar d'hiver au 10 rue du Faubourg-Poissonnière.
Louise deviendra la maîtresse d’un certain Gaston Goulu-Chilapane, un jeune
diplomate domicilié avenue Foch… et puisqu'elle séchait les fonds de verre dans
les cabarets, son nom de scène fut tout trouvé : La Goulue !
L'entrée du Bal Bullier rénovée en 1897
Ça chahutait tous les soirs au Bal Bullier
L'Alcazar d'hiver
La Goulue
participera à la revue "1888" du cirque Fernando.
.
Le cirque Fernando, devenu le cirque Medrano en 1897 et démoli en 1971
La première affiche de Henry de Toulouse
Lautrec qui a fait connaître son nom au grand public avait été
commandée au peintre en 1891 par Zidler, le directeur du
Moulin-Rouge qui avait ouvert deux ans auparavant ce nouveau lieu
de spectacles. Sur cette affiche on y découvre La Goulue et son
partenaire Jules Renaudin dit Valentin le Désossé, clair de
notaire le jour et danseur, contorsionniste la nuit.
C'est à l’Élysée Montmartre que Louise avait rencontré Toulouse
Lautrec, "ce drôle de petit homme barbu avec un chapeau melon
en train de dessiner". Elle l'avait apostrophé en lui disant :
"Ben t’es trop mignon toi, mon p’tit nain barbu !".
Commença entre eux une étrange idylle mais ils resteront avant
tout amis pour la vie. Ci-dessous quelques œuvres de Lautrec en
rapport au Moulin Rouge du temps de la Goulue.
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"La danse au Moulin Rouge"
Huile sur toile - 115 × 150 cm
"Moulin Rouge - La Goulue"
Lithographie en quatre couleurs - 191 x 117 cm -
1891
"Au Moulin Rouge"
Huile sur toile - 123 × 140 cm - de 1892 à 1895
"La Goulue arrivant au Moulin Rouge"
Huile sur toile - 79,4 × 59 cm - 1892
La Goulue donne le bras droit à sa
sœur Victorine et le bras gauche à
Nini Pattes-en-l’air, toutes deux
danseuses au Moulin Rouge.
"La Goulue" - 1892
Mine sur papier - 16,3 x 10 cm
"Valse pour piano"
Lithographie - 245 x 308 cm - 1894
Quand Charles Zidler ouvre le Moulin-Rouge en 1889, il engage la Goulue et ses
consoeurs chahuteuses pour en faire son attraction principale, et le succès est
au rendez-vous. Louise n'a alors que 23 ans. Un large public se presse au
Moulin-Rouge pour voir la Goulue et sa bande lever la jambe. La jeune Weber
devient la coqueluche du tout-Paris : elle est engagée à huit cents francs par
mois et vit alors fort luxueusement. Louise n’était ni une prostituée ni une
demi-mondaine mais de toute évidence elle collectionnait les hommes de toutes
classes sociales, ce qui ne l’empêchait pas aussi à l’occasion d’afficher une
bisexualité notoire notamment avec la Môme Fromage. Parmi ses amants célèbres
citons le prince de Galles, futur roi d'Angleterre Édouard VII, à qui La Goulue
aurait demandé de lui payer un verre en lui disant : "Hé, Galles ! Tu paies
l’champagne ! C’est toi qui régales ou c’est ta mère qu’invite ?".
Finalement, le prince l'aurait emmené au restaurant puis dans son hôtel
particulier. On prête aussi à La Goulue d'avoir fréquenté de près le prince
égyptien Chérif Amourad Yazi, le Shah de Perse, le baron de Rothschild, le
marquis de Biron ... Quoi qu'il en soit, Louise refusait d'être entretenue. Son goût de la provocation et sa volonté de ne jamais se
soumettre aux règles de la bienséance qui dominait la société bourgeoise de
l'époque la poussait sans cesse à des comportements jugés immoraux qui lui ont
d’ailleurs valu bon nombre de procès pour malversation morale et des rappels à
l’ordre et amendes par la police des mœurs qui contrôlait les salles de
spectacles : danser les cheveux découverts alors que toutes les autres danseuses
les dissimulaient sous un chapeau, rentrer au Moulin Rouge avec un bouc en
laisse, puisque les femmes se devaient d’être accompagnées d’un mâle dans les
lieux publics ... Louise savait jouer avec la presse, attirer la lumière vers
elle et intentait aussi des procès pour que les journaux continuent à
parler d'elle. En 1893, les étudiants des "Quat'z'arts" organisèrent au
Moulin-Rouge leur bal annuel. Ils imposèrent des femmes nues, leur servant de
modèles. L'alcool aidant, une orgie s'en suivit. Le lendemain les journaux
titrèrent : "Le Moulin-Rouge, devenu lieu de débauches". La Goulue se
sentant offensée se porta partie civile contre les "Quat'z'arts" et la onzième
Chambre Correctionnelle les condamna à une forte amende. Les étudiants
s'insurgèrent et mirent à sac le quartier latin, retournant des omnibus et
brûlant quelques magasins. "La Goulue, cette flamboyante catin, à mis le feu
à Paris ! " s'exclama Lautrec.
Le Moulin Rouge vers la fin du 19ème siècle
La troupe du Moulin Rouge posant dans la salle de bal
.
La Goulue et Grille-d'Égout
en loge au Moulin Rouge
Les chahuteuses en action dans la salle de bal du Moulin
Rouge
La Goulue avec Valentin le Désossé
.
Aux origines du
French Cancan,
une danse subversive et féministe (Vidéo : 4 mn 30)
Quand Joseph
Ollier inaugura l'Olympia le 11 avril 1893, il fit venir comme toutes premières
vedettes, La Goulue, Loïe Fuller (danseuse américaine) et Fregoli
(transformiste).
Forte de son succès, désireuse de s'émanciper de l'autorité des dirigeants
du Moulin Rouge et s'accrochant de plus en plus souvent avec certaines
danseuses du Moulin Rouge, Louise Weber envisagea de poursuivre sa carrière
en solo. Elle venait justement de faire une nouvelle rencontre, un
journaliste et artiste forain du nom de Simon Colle qui l'aidera à
réaliser la conversion qu'elle espérait et ils vivront une bonne année
ensemble. En 1995, elle quitte donc le Moulin
Rouge, enceinte de son premier et unique enfant que son nouvel amant
reconnaîtra à la naissance, et montera un nouveau spectacle de cancan et de
danse orientale qu'elle présentera dans une baraque foraine à la foire aux
pains d'épice, place de la Nation. Pour attirer plus de monde elle eu l'idée
de demander à son ami Toulouse Lautrec de lui peindre deux panneaux pour
orner de part et d'autre l'entrée de sa baraque. Son spectacle ne lui
donnera malheureusement pas le succès attendu et elle mettra fin
à cette première aventure foraine un an plus tard. Cependant le cœur de
Louise s'éveilla car, si la plus ancienne soupe populaire, proposée alors
par certains commerçants de Paris date de 1894, Louise ne fut pas en reste
et offrit aussi une aide alimentaire aux nécessiteux qui passaient devant sa
baraque. Jusqu'à sa mort Louise jouera de sa générosité pour venir en aide
aux pauvres ainsi qu'aux animaux en errance. Elle dira même un jour : "Moi
j'ai toujours été généreuse, mais je n'en veux à personne si on n'en fait
pas autant pour moi".
Louise avec, probablement, son
fils Simon-Victor dans les bras
La baraque de La Goulue avec ses deux
panneaux peints par Toulouse Lautrec
La foire aux pains d'épice, Place de la Nation,
appelée Place du Trône avant 1880
"Le Bal au Moulin Rouge"
Huile sur toile - 298 × 316 cm - 1895
"Danse mauresque"
Huile sur toile - 285 × 307 cm - 1895
La Goulue en danseuse orientale
La Goulue avec Toulouse Lautrec
Pour autant, Louise ne quitta pas le milieu de la fête foraine. Déjà en 1892
elle avait fait la connaissance de Adrien Pezon, un dresseur de fauves issu
d'une grande famille de dompteurs d'animaux sauvages. Adrien avait occasionnellement
fait danser le cancan à Louise au milieu de ses lions en cage. Il lui avait
aussi inculqué les bases du dressage de fauves. En 1898 il l’engagea pour danser au milieu des
félins en
public, et lors d'une représentation on put trouver venu y assister son
excellence l'empereur de Chine. Cette expérience la décida à présenter elle même
les fauves. C’est ainsi qu’on put la voir à la "Ménagerie Juliano", chez
"Laurent" où elle eut un accident avec la lionne Bellone. En 1900 elle épouse un
ancien prestidigitateur et vendeur de bimbeloteries sur les boulevards, Joseph-Nicolas Roxler,
qui en cadeau de mariage lui offrit quatre lions et un tigre. Louise initia
alors son mari au dressage des animaux sauvages et ensemble, avec leur nouvelle
ménagerie, ils firent sensation dans le monde des belluaires (dresseurs de
fauves) en se produisant dans quelques cirques et fêtes foraines de Paris et des alentours. En 1904, elle eut les honneurs des gazettes car lors d’une représentation
elle sauva son mari des griffes d’un puma. En 1907 à la foire de Saint-Cloud
elle sera blessée par son lion Négus.
José Droxler et La Goulue
Le stand de La Goulue à la fête de Neuilly
La Goulue et ses fauves
La Goulue avec à gauche son fils Simon-Victor Colle et son mari José - 1905
Depuis quelques années le
couple ne s'entendait plus et les spectacles de fauves attiraient de moins en
moins de monde et de surcroît le métier était devenu bien trop dangereux. Le
couple finit par se séparer et La Goulue connu bien des difficultés à conserver
son image de star. Passé 40 ans elle n'était plus la jeune fille du Moulin
Rouge, une silhouette d'autant moins attirante qu'elle sombra rapidement dans
une consommation exagérée d'alcool. Bientôt elle passera son temps à rembourser
les dettes de son fils, jusqu'à ses derniers sous, et elle perdra définitivement
son ex-mari qui ne reviendra pas vivant de la première guerre mondiale. Pour comble
de malheur, son fils mourra en 1922 de maladie, après avoir purgé une peine de 3 ans dans
un pénitencier militaire pour désertion et violences durant le conflit armé.
La Goulue avec son fils Simon-Victor
La Goulue avec son fils Simon-Victor qui arbore la cocarde
du conscrit
qui fait de lui un homme bon pour le service, bon pour aller à la guerre
On retrouvera bientôt la veille dame arpentant les quartiers de Montmartre et de
Pigalle, dans les bistrots où tout le monde la connaît, le corps alourdi, les
traits bouffis par l'alcool, la voix perpétuellement enrouée de trop boire et de
trop fumer. Cependant, devant sa destinée, elle ne connaîtra ni aigreur, ni
jalousie et conservera son sourire. Elle est devenue "Madame Louise" et vend
cacahuètes, bonbons, allumettes, lacets et cigarettes aux prostituées et aux
passants, en s'arrêtant de temps en temps devant le Moulin Rouge pour entamer la
conversation avec les nouvelles danseuses comme Mistinguett qui l'aidera
financièrement à terminer sa vie. Au hasard de ses virées dans les bars et
cafés, elle signe ses photos à ceux qui la reconnaissent. Jean Gabin et Maurice
Chevalier la feront remonter plusieurs fois sur scène pour la présenter au
nouveau public du Moulin Rouge. Louise habitera l'hiver dans un petit
appartement non loin de l'Élisée Montmartre et elle prendra ses quartiers d'été
du côté de Saint-Ouen dans sa roulotte, recueillant et soignant les animaux
...
Dans sa roulotte l'été, du côté de Saint-Ouen
Souffrant
de rétention d'eau, Louise fera une attaque d'apoplexie et décédera après dix
jours à l'hôpital Lariboisière, dans l'indifférence totale, le 29 janvier 1929,
à l'âge de 63 ans. Elle sera enterrée au cimetière parisien de Pantin presque
sans témoin mais en présence de Pierre Lazareff, attaché à la direction
artistique du Moulin Rouge. A la demande de Michel Souvais, son probable arrière
petit fils, elle sera exhumée en
1992 et ses cendres seront transférées au cimetière de Montmartre où elle repose
désormais.
Références : Les archives numérisées de la ville de Paris
Le livre "La Goulue, Reine du Moulin Rouge" paru en 2020, écrit par la
journaliste littéraire Maryline Martin - Éditions Le Rocher poche
De nombreux sites sur internet