Le raid Bruxelles-Léopoldstad bloqué à Givet

traduit de l'article de 2016 du RateOne :
https://luchtvaartgeschiedenis.be/content/raid-brussel-leopoldstad-strandt-te-givet
 


Au printemps 1928, Edmond Thieffry planifie un vol de Bruxelles à Léopoldville, cette fois avec un avion de fabrication belge : l'ACAZ C2 (O-BAFX). 1600 litres pouvaient être ravitaillés à bord, donnant à l'avion entièrement métallique une autonomie de plus de 3000 km. Il s'agissait de desservir la colonie en quatre étapes, via les côtes espagnoles, Oran (Algérie), Niamey (actuel Niger), le golfe de Guinée et le Congo français, créant ainsi une route aéropostale qui permettant au courrier d'arriver à destination en moins de huit jours.

Pour cette mission, le ZACCO C2 a été largement modifié dans l'atelier d'Alfred Feyens à Woluwe-Saint-Pierre. Un moteur plus puissant est installé : 600 au lieu de 450 ch. Des réservoirs de carburant supplémentaires ont également été intégrés et l'avion a été aménagé en triplace. L'adjudant Joseph Lang, déjà familier avec l'avion, s'est occupé de tous les vols d'essai.

Le 31 janvier 1928 l'avion est baptisé à l'aéroport d'Evere par la duchesse de Brabant en présence de son époux le prince Léopold et d'autres autorités civiles et militaires. Son nom "Princesse Astrid" était peint sur le côté du capot moteur.

Le départ vers le Congo était prévu début février mais a été reporté à plusieurs reprises en raison de mauvaises conditions météorologiques. Enfin, le 9 mars à 8 heures le départ pour la première étape depuis Haren a eu lieu dans la matinée avec l'équipage Edmond Thieffry comme commandant, l'adjudant Lang comme pilote et le lieutenant de réserve Philippe Quersin.

Ce matin-là, l'équipage avait demandé de nouvelles données météorologiques. Du brouillard était signalé sur la vallée de la Meuse, mais cela ne devrait pas poser de problèmes majeurs, car l'équipage pouvait voler dans ce brouillard, voire au-dessus si nécessaire. La route de vol a été tracée au-dessus de Charleroi, Philippeville, les plaines de Mourmelon, Dijon, Lyon, Perpignan, le long de la côte espagnole, puis en traversant la Méditerranée au large d'Oran..

Lorsqu'ils survolèrent à nouveau l'aéroport après le décollage, Quersin avait indiqué 179° comme direction de vol.

À partir de ce moment-là, les choses ont mal tourné. Thieffry a ensuite largement rapporté à la direction de ZACCO ce qui s'était passé lors de ce vol, après qu'une polémique ait été menée dans la presse à propos de ce raid. Son récit a donc été publié dans la presse. Ce qui suit donne, dans une version plus courte, son récit (tiré de L'étoile Belge 1928) :

Le cap 179° a été communiqué au pilote mais sans résultat. L'avion volait davantage vers le sud-est. Après avoir insisté à plusieurs reprises et précisé une nouvelle direction (180°) pour corriger l'erreur commise jusqu'à présent, le pilote a ignoré cette recommandation. Puis un nouvel ordre lui fut donné : "Montez vers le sud !" Alors que nous arrivons au-dessus de Namur le pilote nous montre la Meuse pour nous indiquer la direction qu'il voulait prendre. Le pilote avait indiqué vouloir rejoindre Dijon via Verdun et le plateau de Langres. Pendant ce temps nous disparaissions dans la brume, de sorte que même les rives du fleuve n'étaient plus visibles. Quersin m'a donné une note disant : "Le brouillard va augmenter vers le sud. Attention à Langres !"

C'est pourquoi j'ai ordonné au pilote de prendre plus d'altitude avec l'avertissement : "Si vous ne montez pas, nous allons nous écraser dans les collines." L'intention était de s'élever au-dessus de la couche de brouillard. Comme l'altimètre ne bougeait pas et que je soupçonnais que le pilote ne parvenait pas à prendre de l'altitude, j'écrivais une note : "Faites demi-tour, nous allons nous …", et juste à ce moment-là, une masse sombre apparut devant nous. C'est une colline boisée qui nous faisait face. Le pilote a tiré sur le manche par réflexe et l'avion a eu tout juste la force d'éviter l'obstacle.

L'ordre de faire demi-tour a finalement été exécuté, même si j'ai réalisé que le chemin du retour était presque impossible. Le brouillard s'était en effet épaissi. Une autre colline a été survolée en rase-mottes au-dessus des arbres. Un rideau sombre entourait l'équipage comme un linceul. J'ai réalisé que nous étions en réel danger de mort et j'ai donné l'ordre : "Ordre formel d'atterrir à la première clairière !". Le pilote s'étant un peu écarté du courant, nous sommes soudainement sortis d'une couverture nuageuse basse au-dessus d'une belle plaine le long de la route de Vodelée à Gochenée (à environ cinq kilomètres de la frontière française). L'atterrissage a été effectué sur ce site. Au bout de quelques mètres, le train d'atterrissage s'est effondré sous le poids de l'avion lourdement chargé. L'avion incapable de conserver une trajectoire rectiligne a traîné son aile inférieure sur le sol. L'équipage est indemne.


C'est l'histoire abrégée du commandant Thieffry. Toute cette entreprise serait entravée par le fait que le pilote Lang était accusé de ne pas suivre les ordres de son supérieur. Nous ne nous étendrons pas sur la suite des événements. Mais il faut dire que Lang était un pilote expérimenté qui, entre autres, avait remporté les deux premiers prix de voltige aérienne au meeting international du Mont-Saint-Michel en 1921 devant les pilotes français et britanniques.

Après cet atterrissage raté à Vodelée, l'Acaz C2 a été ramenée à Bruxelles par le train. Edmond Thieffry avait indiqué vouloir faire une nouvelle tentative avec l'Acaz C2, à condition que certaines améliorations soient apportées, comme le renforcement du train d'atterrissage. L'avion a probablement été réparé, mais on ne sait rien des vols ultérieurs, si ce n'est que l'Acaz C2 a probablement été vendu à la SEGA (Société des Entreprises Générales d'Aéronautique) en 1929.

Edmond Thieffry qui avait déjà réalisé avec succès en 1925 le premier raid Belgique-Congo à bord d'un Handley Page W8 fera en vain une nouvelle tentative en 1928 avec Philippe Quersin à bord d'un Renard Stampe-Vertongen RSV 22-180, puis une dernière tentative avec un Avimeta 92 qui s'accidenta au décollage d’Anvers-Deurne. Edmond Thieffry ainsi que son deuxième pilote Gaston Julien décèderont le 11 avril 1929 au Congo près du lac Tanganyika après que leur avion, un autre des 3 Avimeta 92 construits, fut précipité au sol par un ouragan. Seul le mécanicien Gastuche devait sortir vivant de l’accident.


Sources:
La Conquête de l'Air, mars 1928
Willems Jacques : Construction aéronautique à Zeebrugge